In or out ? Brexit or not ? La Grande-Bretagne votera le 23 juin pour décider si elle reste ou non dans l’Union Européenne (UE). Les écarts d’un sondage à l’autre promettent un suspense maximal. Les principaux acteurs viennent de faire un premier tour de piste. Politico présente la stratégie de communication de David Cameron dans un article intitulé « David Cameron unleashes ‘projet fear’ ». Sans surprise, The Economist prend parti pour le maintien dans l’UE avec son article « The real danger of Brexit ».
Les deux articles posent les grandes lignes de la stratégie de David Cameron et de la plate-forme « Britain stronger in Europe » qui fédère de nombreux opposants au Brexit. Cette stratégie suffira-t-elle pour gagner le référendum ? J’en doute. Nous ne sommes qu’au début de la campagne et celle-ci aura son lot de crises, surprises et rebondissements. Il n’en demeure pas moins qu’en l’état, la stratégie de communication de David Cameron et du camp du « In » présente plusieurs failles et risque de se retourner contre eux.
Project Fear : une campagne pour faire peur
La stratégie de David Cameron part d’une idée simple : « British voters will never love the European Union. But maybe they can be terrified into voting not to leave it » (Politico). Il s’agit donc de leur faire peur, de les terroriser en agitant tous les dangers qui s’abattraient sur le Royaume en cas de victoire du Brexit. Telle est la colonne vertébrale de la campagne, baptisée « Project Fear » par les médias. De grands patrons et d’anciens généraux portent déjà ce message dans des tribunes dans les journaux opposés au Brexit.
David Cameron menace, quant à lui, ses compatriotes d’un « saut dans l’obscurité ». Il valorise le « deal » qu’il a obtenu à Bruxelles et qui est supposé répondre à la question des migrants européens. Il affirme que la Grande Bretagne profite aujourd’hui du « meilleur des deux mondes » en sa qualité de membre de l’Union Européenne qui n’est pas concerné par les deux accords qui auraient échoué : l’Euro et Schengen.
Un Premier Ministre dans l’arène et à la télévision
David Cameron a choisi une stratégie de communication où il est en première ligne. Porte-parole n°1 du camp du « In », il met tout son poids dans la balance et dans les médias. Sa stratégie vise à recadrer le débat : « It’s not a simple question of choosing between “yes” and “no,” they will warn voters. They will try to frame the debate as a question: Who do you trust with the nation’s future? » (Politico).
Face à plusieurs titres de presse écrite qui veulent une sortie de l’Union, David Cameron mise sur la télévision pour faire passer ses messages et pour atteindre des publics habituellement éloignés de la politique. Sa fonction de Premier Ministre lui ouvre de nombreux plateaux et lui garantit une bonne visibilité dans les journaux télévisés. La BBC a déjà prévu trois grandes émissions en direct, dont un « Question Time » le 19 juin et un débat le 21 juin : un face-à-face géant au Stade de Wembley.
Un Brexit dangereux pour la Grande-Bretagne, l’Europe et l’Occident
L’article de The Economist, « The real danger of Brexit », s’inscrit dans cette stratégie de la peur. Un Brexit mettrait en danger l’économie, l’emploi et la sécurité de la Grande-Bretagne, son influence dans le monde, voire son unité si l’Ecosse et l’Irlande du Nord veulent rester dans l’UE. Il obligerait la Grande-Bretagne à négocier de nouveaux accords, plus défavorables que l’actuel statut de membre, si elle veut préserver son accès au Marché Unique, destination aujourd’hui de 50% de ses exportations. Quant à la souveraineté retrouvée en cas de Brexit, « it would be a purer but rather powerless sort of sovereignty ».
The Economist ne s’arrête pas là. Il veut montrer que le Brexit serait dangereux pour la Grande-Bretagne, mais aussi pour l’UE et pour l’Occident au sens large. Il cite pour preuve que Vladimir Poutine est favorable au Brexit, après avoir écrit: « Europe would be poorer without Britain’s voice: more dominated by Germany; and, surely, less liberal, more protectionist and more inwardlooking ». The Economist conclut : « What more sceptical sorts must now recognise is that Brexit would also weaken Europe and the West ». Et dans cet affaiblissement, il n’y aurait rien de bon pour la Grande-Bretagne.
Voilà, en quelques mots, la stratégie de communication de David Cameron et du camp du « In ». Maintenant, quelles en sont les failles ?
Faille n°1 : la répétition
« Less strong, less secure, more dangerous in a dangerous world. Has a familiar ring? » demande The Guardian dans une tribune intitulée « The EU referendum is already following the Scottish playbook, Project Fear 2.0 ». David Cameron reprend la recette gagnante qui avait été utilisée pour le vote sur l’indépendance de l’Ecosse en 2014. Cette répétition est la première faille de la stratégie.
C’est une faille car la configuration politique est différente et moins favorable. Concernant l’Ecosse, les choses étaient simples : il y avait une seule position par parti. Le Brexit divise, lui, à l’intérieur-même des partis. Le Parti Conservateur a des têtes d’affiche dans les deux camps. Et au sein de ce parti, le vote se double d’une lutte pour le pouvoir opposant David Cameron au maire de Londres, Boris Johnson.
C’est une faille, surtout, parce que la répétition crée l’accoutumance. Ce qui a fait peur une première fois ne suffira pas pour faire peur une deuxième fois. Les électeurs connaissent déjà la chanson. Ils se sont habitués aux menaces qui pèsent sur eux si, d’aventure, ils faisaient le « mauvais choix ». Les menaces font moins peur. Et les opposants ont appris à les contrer. Il va donc falloir soit terroriser davantage et pratiquer la surenchère, soit ajouter aux messages de peur des messages dans d’autres registres, plus positifs.
Faille n°2 : la communication négative
Au-delà de la répétition, une communication construite autour de la peur est nécessairement une communication négative. C’est la faille la plus grave dans la stratégie de David Cameron.
Le camp du « In » demande aux électeurs que rien ne change, au motif que le changement, qui est l’enjeu du vote, apporterait d’effroyables dangers. Ce faisant, il dit aux électeurs qui ont la liberté d’exercer un changement, de ne pas exercer cette liberté et de choisir, par défaut, le maintien d’une situation jugée peu enthousiasmante par tous les votants. Mais alors, pourquoi faire un référendum ? Pourquoi consulter les électeurs si ceux-ci doivent se résigner à n’avoir qu’un seul choix ?
A trop enfermer les électeurs dans des discours négatifs de peur, le camp du « In » risque de provoquer l’effet inverse, à savoir amener les électeurs à résister aux peurs, à exercer leur liberté, à refuser le statu quo, à vérifier que le référendum n’est pas un simulacre de démocratie… bref à voter pour le Brexit. Le camp du « Out » surfe déjà sur cette vague positive de démocratie, de résistance et de liberté.
Sauf à vouloir creuser cette faille, le camp du « In » ne peut pas s’en tenir à une communication négative. Le thème du « meilleur des deux mondes » est une piste, mais ne définit ni un projet, ni une vision pour la Grande-Bretagne dans l’Europe. Il ne suffira pas à susciter l’adhésion, sans parler de l’envie.
Faille n°3 : une stratégie bloc contre bloc
David Cameron prend le leadership de la bataille pour le maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE. Le Premier Ministre est à la fois un atout et un handicap. Un atout par sa stature, ses talents et son track-records en victoires à des élections et référendums. Un handicap parce qu’il a joué avec le feu en promettant le référendum, parce qu’il a choisi son camp à l’issue d’une négociation peu convaincante avec Bruxelles et parce que la question implicite du référendum est son maintien ou son départ.
La faille n’est pas chez David Cameron. Elle consiste à fédérer le camp du « In » autour de David Cameron, avec le risque que la voix du Premier Ministre écrase et rende inaudibles toutes les autres. Elle est d’uniformiser le camp du « In » et de le priver d’une diversité de sensibilités et de points de vue. Elle sera accentuée par le choix de la télévision qui va mette en scène les débats comme une confrontation entre deux blocs. Des adversaires politiques de David Cameron, favorables au « In », risquent ainsi de se retrouver dans le même lit que lui, avec les mêmes messages et sous son leadership.
Un bloc, c’est gros, c’est lourd, c’est lent. Quand il est attaqué sur sa droite, il se découvre sur sa gauche et quand il répond sur sa gauche, il se découvre sur sa droite. C’est la mésaventure qui est arrivée, en France, aux partisans du « Oui » lors du référendum de 2005. Onze ans plus tard, le maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE sera, lui aussi, attaqué sur différents sujets, sous différents angles et à partir de différents points de vue. Le camp du « In » aura besoin d’agilité et de diversité. Il doit donc rejeter le bloc contre bloc.
Faille n°4 : le peuple contre l’establishment
Le référendum sur le Brexit n’a aucune raison d’échapper au clivage qui structure de nombreux débats politiques dans la plupart des pays occidentaux : le peuple contre l’establishment.
Les partisans du Brexit mettent en avant une souveraineté retrouvée et une meilleure maîtrise de l’immigration. Ils s’adressent à tous ceux qui pensent avoir perdu le sens de leur vie et de leur nation avec la mondialisation, la libre circulation des biens et des personnes et la tutelle technocratique de Bruxelles. Ils ont tout intérêt à utiliser à leur profit les ressentiments et les colères qui opposent le peuple à l’establishment et qui peuvent trouver un exutoire dans le Brexit.
En face, David Cameron et le camp du « In » laissent, pour l’instant, ce clivage s’installer. Ils le favorisent avec la communication négative visant à dissuader le peuple d’exercer sa liberté et de faire le « mauvais choix ». Les positions contre le Brexit de grands patrons, d’anciens généraux et de médias comme The Financial Times, The Guardian et The Economist, accentuent la faille. Il est, pourtant, urgent de la combler, par exemple en faisant porter par des personnes issues « du peuple » des messages sur l’utilité du maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE.
Faille n°5 : l’invocation du reste du monde
Seuls les citoyens britanniques pourront voter, le 23 juin, au référendum sur le Brexit. Pour autant, le reste du monde est loin d’être absent dans la campagne qui démarre en Grande-Bretagne. A date, il y contribue sous trois formes. Chacune apparaît comme une faille pour le camp du « In ».
Première contribution : le recours au reste du monde par le camp du « In ». L’article de The Economist en fournit une bonne illustration : le Brexit serait dangereux non seulement pour la Grande-Bretagne, mais aussi pour l’Europe et pour l’Occident. Paradoxalement, ce message conforte aussi le camp du « Out ».
En effet, il revient à dire que l’Europe et l’Occident seraient, eux aussi, affaiblis par un Brexit, qu’ils ne seraient pas en position de force pour négocier dans cette éventualité… et qu’ils vont donc tout faire pour qu’un nouvel accord soit conclu au plus vite avec la Grande-Bretagne lorsque celle-ci aura quitté l’Union. Un nouvel accord, c’est-à-dire un meilleur accord que les actuels traités de l’UE.
Faille n°6 : le soutien quasi-unanime des dirigeants à l’étranger
A l’exception de Vladimir Poutine, les dirigeants des autres pays sont, tous, contre le Brexit.
Fin février, les ministres des finances du G20, réunis à Shanghai, ont ainsi considéré qu’un Brexit serait un choc pour l’économie mondiale. Cette prise de position peut, elle aussi, avoir un effet paradoxal. En disant leur inquiétude face à une menace qui pèse aussi sur eux, les ministres des finances alimentent la communication négative et le clivage opposant le peuple à l’establishment. Surtout, ils confortent l’idée qu’un meilleur accord sera vite négocié en cas de victoire du Brexit puisque tout le monde y a intérêt.
Certaines déclarations sont maladroites et relèvent implicitement de l’insulte. A titre d’exemple, citons Michel Sapin : « Je crois en l’intelligence des peuples, je crois que le peuple britannique, quels que soient par ailleurs les tentations, les crispations, les mouvements d’humeur, saura faire le choix qui est le meilleur pour lui-même et le meilleur pour l’Europe, c’est à dire de rester dans l’Union européenne ». De tels propos reviennent à dire aux partisans du Brexit qu’ils sont stupides. Ils peuvent aussi créer des vocations…
Faille n°7 : les impasses de la Commission Européenne
La Commission Européenne veut le maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE, juge que son intervention dans la campagne du référendum serait contreproductive et ne prendra donc pas part à cette campagne. Qui pourrait lui reprocher d’être lucide sur ses pouvoirs répulsifs en Grande-Bretagne ?
Mais la Commission ne s’arrête pas à ce silence bienvenu. D’ici au 23 juin, elle freine tous les dossiers, tels que le budget, qui pourraient irriter les Britanniques. Surtout, elle confirme son image « antidémocratique » en refusant d’envisager que la majorité des Britanniques puissent faire un autre choix qu’elle. Elle clame ainsi ne pas avoir de plan B en cas de victoire du Brexit. Pas de plan B. L’argument s’est usé au fil des crises européennes. Chacun sait aujourd’hui qu’il y a toujours moyen de trouver un arrangement a posteriori. Dans le camp du Brexit, cela conforte l’idée que le nouvel accord qui sera négocié avec l’UE sera plus favorable, pour la Grande-Bretagne, que les traités européens.
Plus grave ! Boris Johnson et le camp du Brexit voient dans l’Europe un Titanic qui va bientôt couler. Cette opinion, présente dans d’autres Etats-membres, appelle une réponse qui affirme une vision et un leadership pour l’Europe. Tout le contraire de ce que la Commission est en train de faire !
La Commission peut toujours se réfugier derrière les carences et les lâchetés des Etats-membres. Il n’en demeure pas moins qu’en continuant sans vision, ni leadership à gérer les urgences, l’une après l’autre, mais aussi en refusant de fixer les modalités pour la sortie d’un Etat-membre, la Commission abordera une victoire du Brexit en position de faiblesse et incitera d’autres Etats à s’aventurer dans la sécession.
Vision et leadership. Si l’Europe savait où elle allait et comment elle y allait, que ce soit à une vitesse ou à plusieurs vitesses, les partisans britanniques du maintien de leur pays dans l’UE auraient autre chose à se mettre sous la dent qu’une communication uniquement négative agitant des dangers, mais risquant de se retourner comme eux.
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