Ce texte est la suite du texte sur les onze mauvais traitements que Cash Investigation peut infliger aux grandes entreprises. Le pitch tient en une phrase : vous recevez un appel téléphonique, Cash Investigation enquête sur votre secteur et Elise Lucet souhaite une interview. Que faire ? Accepter ou refuser ? A partir de maintenant, comment gérer les relations avec Cash Investigation ?
Ecartons d’office les réactions émotionnelles et les jugements de valeur, du type "ils ne nous aiment pas" et "ils ont des méthodes de voyou". Ils sont d’une pertinence limitée. Peu importe qu’il y ait de l’amour, de la haine ou de l’indifférence, Cash Investigation réalisera son enquête. Et l’émission utilisera les méthodes de son choix. Votre opinion ou mon opinion sur ces méthodes ne changera rien.
Il faut faire avec Cash. Essayons de voir comment à travers douze propositions. Plusieurs d’entre elles prennent le contre-pied des pratiques habituelles de Cash à l’encontre des entreprises… et des pratiques habituelles des entreprises vis-à-vis de Cash. Il y a, ici, matière à débat. Au risque de me répéter par rapport au texte précédent, ces propositions ne sont ni une recette de cuisine à appliquer à la lettre, ni une formule magique permettant de se sortir de toutes les situations.
1- Prendre Cash Investigation à contre-pied: accepter le dialogue
Cash Investigation a besoin d’entreprises qui se comportent conformément à sa grille de lecture, d’entreprises qui sont fermées, opaques, cyniques, arrogantes, indifférentes, manipulatrices… Et si les entreprises pratiquaient le contre-pied et cessaient de faire ce dont Cash Investigation a besoin ?
Attendez, vous voulez accueillir Cash Investigation ! Pourquoi aller au casse-pipe ? Qu’y a-t-il à y gagner ?
La question ne se pose pas dans ces termes. Lorsqu’une entreprise ferme sa porte et refuse une interview à Elise Lucet, elle joue le jeu de Cash Investigation et justifie ses excès. Surtout, elle sort perdante de ce jeu lorsque Cash Investigation entre à l’improviste par la fenêtre et finit par obtenir une interview.
Soyons lucides : il est impossible de sécuriser toutes les fenêtres pendant plusieurs mois lorsqu’on est une entreprise internationale présente sur des centaines de sites et organisant, chaque année, des centaines d’événements. Et même, à supposer que toutes les fenêtres puissent être sécurisées, il restera toujours les parkings et les lieux publics. Et puis, qui va s’opposer à la souriante Elise Lucet sous l’œil d’une caméra à l’affut du moindre dérapage ?
On voit ici que la question initiale d’accepter ou de refuser l’interview n’est pas pertinente. Puisqu’une interview doit, de toute façon, avoir lieu, n’est-il pas préférable de l’accepter d’emblée ? Ce point est essentiel. Une fois l’interview actée, il reste maintenant à gérer les relations avec Cash Investigation.
2- Coordonner une réponse de l’ensemble du secteur
Cash Investigation mène très rarement une enquête sur une seule entreprise. L’émission traite, le plus souvent, d’un sujet qui concerne tout un secteur, par exemple celui des pesticides dans la dernière émission. Quand une entreprise est contactée sur un sujet donné, il est très probable que les autres grandes entreprises concernées par le même sujet ont déjà été contactées ou vont l’être.
Une réponse coordonnée des entreprises du secteur, via leur organisation professionnelle, est, de loin, préférable à des réponses en solo, sans visibilité sur les réponses des autres entreprises. N’en déplaise à Cash Investigation, le partage de ce type d’informations et la coordination sur un sujet intéressant l’ensemble d’un secteur sont l’une des raisons d’être des organisations professionnelles. Une de leurs autres raisons d’être est la prise de parole au nom des entreprises du secteur, comme l’a fait l’European Crop Protection Association (ECPA) dans l’émission sur les pesticides.
En fonction du sujet, reste à voir ce qui est le plus judicieux : une répartition des sujets entre l’organisation professionnelle et ses membres (les sujets généraux pour la première, les sujets spécifiques pour les seconds) ou uniquement un porte-parolat de l’organisation professionnelle, qui est alors mandatée pour les deux types de sujets.
3- Désigner les interlocuteurs de Cash Investigation
Que l’on soit dans une entreprise ou une organisation professionnelle, deux interlocuteurs sont à désigner très vite, dès le premier appel de Cash Investigation : le dirigeant qui aura le bonheur et le privilège d’être interviewé par Elise Lucet, le communicant qui sera le point d’entrée et l’interlocuteur au quotidien de Cash Investigation pendant toute la durée de l’enquête. N’en déplaise à Cash Investigation qui veut écarter les communicants, l’émission va devoir faire avec l’un d’entre eux.
Un interlocuteur unique est, de loin, préférable à plusieurs interlocuteurs qui auraient, chacun, une bribe de l’histoire, de la relation et des négociations (parce qu’il y en aura). Ce communicant maîtrise le sujet de l’émission, a l’expérience de la préparation des interviews TV et a l’habitude de répondre aux questions et demandes des journalistes. Tous les autres communicants de l’entreprise sont informés qu’ils doivent diriger vers lui les appels de Cash Investigation.
4- Informer les collaborateurs: "Cash Investigation enquête sur nous".
Une enquête de Cash Investigation n’est pas une maladie honteuse dont on s’efforcerait de retarder l’annonce le plus possible. Un jour ou l’autre, tout le monde apprendra et, le jour de la diffusion, tout le monde verra. Faire de l’enquête un sujet tabou, c’est jouer le jeu de Cash Investigation.
Ici encore, contre-pied ! Il n’y a rien de secret ou tabou. En prenant les devants, en informant ses collaborateurs au début de l’enquête, l’entreprise banalise et dédramatise. Elle leur montre qu’elle est à l’aise avec le sujet puisqu’elle va répondre à la demande d’interview de Cash Investigation. Elle pourra, plus tard, leur raconter l’interview. Une fois l’émission terminée, dans l’hypothèse où Cash Investigation procèderait comme à son habitude et présenterait l’entreprise comme opaque et secrète, les collaborateurs auront tous les éléments pour apprécier qui dit vrai et qui dit faux.
5- Préparer l’arrivée surprise d’une équipe de Cash Investigation
On ne change pas les recettes gagnantes, celles qui font le buzz et l’audimat. Ce n’est pas parce que l’entreprise ou son organisation professionnelle se montre ouverte et lui donne une interview que Cash Investigation va renoncer à son jeu favori du commando qui débarque à l’improviste.
Il s’agit donc de préparer à cette éventualité les dirigeants et le réseau de communicants de l’entreprise. Le message est simple : notre entreprise répond à toutes vos questions, nous ne comprenons pas ce que vous faites ici puisque vous avez déjà une interview avec l’un de nos dirigeants. Il ne va pas au-delà. Il est dit avec sourire et courtoisie. Il est répété en boucle, si nécessaire. Les smartphones sont sortis et enregistrent une vidéo de cette séquence, au cas où elle tournerait au harcèlement.
6- Cadrer l’interview du dirigeant qui est porte-parole
Cash Investigation mène l’enquête et veut une interview. Celle-ci va avoir lieu. Le communicant qui est l’interlocuteur de Cash Investigation est chargé de la préparer. Tout d’abord, le cadrage.
Cadrer une interview, c’est échanger avec le journaliste sur les sujets qui l’intéressent, présenter sa vision du sujet, corriger d’éventuelles incompréhensions, transmettre par mail ses positions et des documents qui font référence … tout en sachant que les entretiens téléphoniques peuvent être enregistrés. Ce n’est pas demander une liste écrite des questions qui seront posées. Une telle liste a peu de sens : qui contestera à Elise Lucet le droit de poser une question, au motif que celle-ci ne figure pas dans une liste ?
Cadrer une interview, c’est aussi discuter, donc négocier, et confirmer par écrit ses modalités : son lieu, sa durée et la possibilité pour l’entreprise ou l’organisation professionnelle de filmer, elle aussi, l’interview, comme l’a fait l’ECPA dans la dernière émission sur les pesticides. Cash Investigation procèdera à un montage de l’interview. Une vidéo de l’intégralité de l’interview donne un autre point de vue.
7- Préparer les messages et le porte-parole
Un autre rôle du communicant est de préparer les messages et d’entraîner le porte-parole. Je ne suis pas favorable à la spécialisation des tâches où celui qui est en relation avec les journalistes n’est pas celui qui prépare les argumentaires, ni celui qui fait les média-trainings. La spécialisation est souvent synonyme de cloisonnements et de pertes en ligne.
Le cadrage de l’interview permet, le plus souvent, de deviner les questions et les attentes des journalistes. Il s’agit ensuite de construire des réponses claires, concrètes, concises et qui fonctionnent à l’oral. Pas des réponses corporate ou compliquées qui pratiquent l’esquive, manient la langue de bois ou exposent un raisonnement nécessitant plus de quarante secondes sans coupure. Dernière étape avant l’interview : entraîner le porte-parole à manier ces réponses, tout en gardant le sourire.
8- Poursuivre le contre-pied pendant l’interview
C’est le grand jour, celui de l’interview. Les dirigeants interviewés par Elise Lucet sont souvent montrés le visage fermé, tendus, mal à l’aise, sur la défensive, voire déstabilisés. Poursuivons le contre-pied.
Cash vous filme et vous filmez Cash. C'est ce qui a été négocié et confirmé par écrit en amont, au moment du cadrage (cf. 6). Même si l’interview n’est pas un moment agréable, il est préférable de caler son sourire sur celui d’Elise Lucet et d’apparaître ouvert, convivial et inspirant confiance. Ce n’est pas facile. Il faut de l’entrainement et quelques prédispositions personnelles pour qu’un sourire n’apparaisse ni forcé, ni figé.
La technique d’interview la plus souvent utilisée par Elise Lucet est l’accusation étayée par des documents officiels. La charge est rude. Il importe alors de contrer l’accusation, en évitant de se mettre sur la défensive ou, pire, de se justifier. Nul n’a l’obligation de connaître tous les documents qu’Elise Lucet sort de son chapeau. Une lecture sous l’œil de la caméra n’a pas de sens et une réponse improvisée est toujours risquée. Il est plus simple de prendre les documents pour les analyser et de proposer à Elise Lucet une autre interview pour en parler. De toute façon, vous aussi, vous filmez l’interview.
9- Ne pas faire "le malin" face à Elise Lucet
Pendant l’interview, répondre aux questions avec le sourire est une chose. Penser que l’on peut contre-attaquer, s’en prendre à Elise Lucet ou à son émission, en est une autre. Lorsqu’elle est devant une caméra, Elise Lucet est dans son élément. Pas vous. Elle a des années d’expérience sur ce terrain. Pas vous. Conclusion : il est très risqué de chercher à faire le malin et il vaut mieux s’en abstenir.
C’est injuste ? Vous avez tant envie de dénoncer ses partis pris, ses méthodes, sa posture de Robin des Bois qui juge et donne des leçons. Vous ne le ferez pas. Car c’est elle qui mène l’interview et qui est à l’affut du moindre de vos dérapages. Car elle est la nouvelle égérie de la liberté et de la transparence. Vous pourrez néanmoins vous consoler ou vous amuser en lisant cet édito de Libération qui est intitulé « Présentateurs de JT : soyez cash » et qui s’en prend à Elise Lucet, prise en flagrant délit d’opacité.
10- Préparer le débat en plateau
Après l’enquête, le débat en plateau. Dans Cash Investigation, le débat est à la fois un droit de suite permettant à Elise Lucet de revenir sur tel ou tel point de l’enquête et un appendice avec de nouveaux personnages (dans la dernière émission, le céréalier malade qui a gagné contre Monsanto, le correspondant de France 2 aux Etats-Unis).
Participer ou non au débat ? La question a été tranchée dès le début de ce texte. Puisque l’on s’est montré ouvert pendant les mois d’enquête, il serait incohérent de pratiquer la chaise vide au moment du débat. Les questions sont davantage : qui sont les autres participants, quelle stratégie adopter vis-à-vis de chacun d’entre eux et, surtout, qu’attend-on du débat ? Arrêtons-nous sur cette dernière question.
On ne va pas en plateau pour convaincre Elise Lucet et les autres invités (c’est mission impossible). On y va pour donner une conclusion et pour laisser une bonne image aux téléspectateurs qui viennent de découvrir l’enquête de Cash Investigation. Il va donc falloir s’y préparer.
11- Proposer une autre version de Cash Investigation
Votre entreprise ou votre organisation professionnelle a joué le dialogue et la transparence. Cash Investigation ne va pas, pour autant, abandonner sa grille de lecture manichéenne. L’émission propose son point de vue. Pourquoi les entreprises de votre secteur ne proposeraient-elle pas, elles aussi, leur point de vue, à travers un site web dédié ? En même temps que l’enquête, la contre-enquête !
Le site web présenterait les positions et les actions de votre secteur, vos relations avec Cash Investigation pendant l’enquête, les documents de référence que vous lui avez transmis, les vidéos filmées au smartphone de ses éventuelles intrusions, la vidéo intégrale de son interview de votre porte-parole, vos réponses aux éléments négatifs ressortant des articles annonçant l’émission…
Bien sûr, le site web serait jugé par Cash Investigation comme un outil de communication, de propagande ou de manipulation. Il serait considéré comme partial par de nombreuses personnes qui l’opposeraient à l’enquête de Cash Investigation. Pour autant, il proposerait une contre-enquête permettant à chacun de se faire son opinion et d’apprécier les coupes de Cash Investigation dans le montage de ses interviews ou de ses intrusions. Il permettrait, surtout, aux collaborateurs, clients, fournisseurs, partenaires et interlocuteurs institutionnels d’avoir un accès direct au point de vue de votre secteur. Et puis, pourquoi ne pas couper l’herbe sous le pied de Cash Investigation ? Pourquoi ne pas mettre en ligne une première version de ce site, quelques jours avant la diffusion de l’émission par France 2 ?
12- Accompagner la diffusion de l’émission
Nous approchons de la fin d’une histoire qui a débuté, il y a déjà plusieurs mois, avec le premier appel téléphonique de Cash Investigation. France 2 diffuse, ce soir, l’émission de Cash Investigation qui vous concerne. C’est l’effervescence. Vous avez mis en place deux cellules.
L’une cellule est chargée d’analyser le contenu de l’émission. Elle doit produire un document en réaction aux éventuels éléments faux, incomplets ou biaisés. Car, oui, il arrive à Cash Investigation de dire des bêtises. L'Association Française pour l'Information Scientifique (AFIS) l'a montré à propos de la dernière émission sur les pesticides et d'une affirmation qui y revient en boucle, mais qui est le fruit d'une manipulation et d'un contresens. L’autre cellule est chargée des réseaux sociaux. En plus d’une mission de veille, elle doit y faire entendre les messages de votre secteur et y apporter les correctifs, précisions ou compléments qui seraient nécessaires. Les travaux des deux cellules viendront enrichir le site web.
Voilà ! Cash Investigation est maintenant terminé. Votre travail, lui, se poursuit : il reste à élaborer la position de votre secteur sur l’émission, à la diffuser aux collaborateurs et aux autres parties prenantes, puis à réagir aux contre-attaques qui ne manqueront pas de venir de Cash Investigation, furieux des coups que vous venez de porter à un journalisme qui a peut-être la tête un peu enflée à force de penser qu’en plus de l’humour et de l’impertinence, il incarne la vérité, la justice, la liberté, la transparence et la responsabilité.
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